On ne rappelle jamais trop l’importance de l’outil de la délégation de pouvoir dans l’entreprise aux fins d’instauration de vase clos pour couper la chaîne de responsabilité. Parfois néanmoins, cet outil est volontairement écarté par les groupes de sociétés aux fins de rendre plus difficile de déterminer la responsabilité pénale de chacun.

Au demeurant, cette technique n’est pas nécessairement payante. Exemple : la société Alcatel-Lucent a ainsi vu sa responsabilité pénale engagée en sa qualité de société mère à raison d’un délit commis par les salariés de sa filiale (Cass., crim., 16 juin 2021 n°20-83.098 F-P).

Pour rappel : aux termes de l’article 121-2, al. 1er du Code pénal, les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants.

En l’espèce se sont pourtant des salariés d’une filiale qui sont acteurs.

En effet, la société Alcatel-Lucent, société Holding mère, a été poursuivie et condamnée pour avoir corrompu des agents publics étrangers en échange de l’attribution d’un marché public au bénéfice d’une filiale ; un comité des risques mis en place au sein de la société mère avait validé le document de travail évaluant la rentabilité de l’opération et des salariés de la filiale étaient intervenus pour « recruter » les consultants chargés de verser les commissions illicites aux fonctionnaires concernés.

Justement, la société holding contestait la condamnation en faisant valoir que l’infraction n’avait pas été commise par ses « organes ou représentants » : d’une part, les salariés de la filiale ne pouvaient pas être considérés comme ses représentants puisqu’il n’était pas établi qu’elle leur avait consenti une délégation de pouvoirs ; d’autre part, le comité ayant validé la rentabilité du projet ne pouvait pas être qualifié d’organe de la société mère car ne disposant selon Alcatel-Lucent d’aucun pouvoir de décision.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté ces arguments, estimant que la corruption active d’agents publics avait été commise, pour le compte de la société mère, par la combinaison des deux séries d’interventions :

– celle des salariés de la filiale, « représentants de fait » de la mère en raison de l’existence d’une organisation transversale (« matricielle ») propre au groupe de sociétés peu important l’absence de lien juridique et de délégation de pouvoirs à leur profit ;

– celle du comité des risques, organe de la société mère composé de dirigeants du groupe, dont la mission le conduisait à valider, pour le compte de ce groupe, le recours à des paiements illicites.

Mais quid alors du principe d’interprétation stricte du texte pénal ? (article 111-4 du Code pénal : « La loi pénale est d’interprétation stricte. »)

Pour justifier sa décision la Cour de cassation se fonde dans son arrêt sur l’organisation matricielle, structurelle du Groupe. Selon la haute juridiction cette organisation ignorait les structures juridiques habituelles liant une société mère et ses filiales. C’est ainsi qu’au lien hiérarchique de droit se juxtaposait un lien hiérarchique de fait.

C’est sur ce fondement d’une hiérarchie de fait découlant de l’organisation et de la politique de groupe déterminées par la société mère, la Cour de cassation retient que les  salariés concernés sont des  représentants de fait de la société mère. Se faisant, les hauts magistrats font échec aux stratégies de dilution des responsabilités adoptées par certains groupes au moyen d’une organisation particulièrement diffuse et par l’absence de délégation de pouvoirs.

Sous réserve des évolutions législatives et jurisprudentielles

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Votre Avocat à Gap et Briançon vous pour toute procédure ou information relative au à la commission d’une infraction pénale et ou à la mise en oeuvre d’une chaîne de délégations de pouvoir en entreprise.

Récemment, relativement aux éléments constitutifs de l’infraction de viol.