S’agissant de faits d’une particulière gravité, savoir des cunnilingus et des attouchements infligés à plusieurs reprises par un beau-père à sa belle-fille depuis ses 13 ans, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 14 octobre 2020 (n°20-83.273), rejetant le pourvoi formé par la plaignante, sème le trouble et interroge.
Avant la Haute-Juridiction, les juges du fond (Juge d’instruction et Chambre de l’instruction) avaient écarté la qualification de viol et préféré retenir celle d’agression sexuelle, tout autant sur l’élément matériel que sur l’élément moral du viol.
L’article du Code pénal qui incrimine les faits de viol et puni ceux-ci d’une peine de 15 ans de réclusion criminelle est l’article 222-23 du Code pénal lequel dispose :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
L’élément matériel constitutif de l’infraction est l’acte de pénétration. L’élément moral consiste en la volonté de commettre l’acte avec la conscience de l’imposer à une victime qui de son côté n’y consent pas.
S’agissant des faits de l’espèce, la chambre de l’instruction semble en outre exiger que l’incrimination pour viol suppose une pénétration « suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration ». Selon celle-ci « aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou de mouvement » n’étant apportée, rien ne prouverait une « introduction volontaire au-delà de l’orée du vagin ».
Rien de tel n’est pourtant exigé par la lettre de l’article 222-23 du Code pénal et l’on comprend dès lors le pourvoi de la plaignante dont le premier moyen porte justement sur la profondeur de la pénétration sexuelle qui ne constitue pas une condition de qualification du viol. La chambre de l’instruction aurait ainsi ajouté un élément (une profondeur significative) non prévu par le texte.
En cela nous ne pouvons que rejoindre la demandeuse au pourvoi, l’acte de pénétration ne saurait être exclu à raison d’un degré de pénétration insuffisant en termes de profondeur. Retenir l’inverse confine à l’absurde. En effet, et en toute matière, comment pourrait-on concevoir qu’un individu qui pénètre dans une pièce demeure à l’extérieur ? La raison dicte que le crime de viol soit retenu dès le départ de la pénétration, peu important sa profondeur, sa durée, ou toute autre considération factuelle… C’est le sens même de l’article 222-23 du Code pénal qui incrimine « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit » (nous soulignons).
Face à cette décision ambiguë nous ne pouvons qu’espérer que la Cour de cassation n’ait pas voulu modifier les éléments constitutifs de l’infraction. A vrai dire nous ne le pensons pas.
En effet, il semblerait plutôt qu’en l’espèce la véritable problématique juridique à avoir dicté les décisions intervenues soit celle de la preuve. En effet, il semblerait qu’en l’absence d’éléments probants suffisants rapportés par le ministère public, la qualification d’agression sexuelle aggravée ait été retenue dans l’objectif louable de garantir des poursuites pénales et une éventuelle condamnation.
C’est la fameuse pratique de la correctionnalisation, ou l’action de transformer un crime en délit, usuellement employée afin d’éviter la mise en accusation d’un mis en examen et son renvoi devant la cour d’assises au profit d’un renvoi devant le Tribunal correctionnel.
Il apparaît aujourd’hui nécessaire de réfléchir à la question de la preuve (preuve d’une pénétration sexuelle et preuve de l’absence du consentement), qui se trouve être en réalité à l’origine de la requalification opérée par la chambre de l’instruction, validée par la Cour de cassation.
Cette délicate problématique est en effet au cœur des débats qui agitent le droit pénal. Nous pensons à la proposition de loi n°3209 du 15 juillet 2020 visant à rendre imprescriptibles les viols sur mineurs. Si la proposition à pour dessein louable de permettre la poursuite d’individus coupables de tels crimes, ne risque-t-elle pas plutôt d’aboutir à des acquittements à répétition en raison de la déperdition de la preuve par l’effet du temps ?
Sur ce sujet, nous nous en rapportons aux mots très justes de notre Confrère, Pierre-Oliviers SUR, ancien Bâtonnier de Paris, selon qui « Seule la morale est imprescriptible. Mais le droit pénal n’est pas une morale. » et « seule l’attente du pardon demeure toujours recevable, ratione temporis ».
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