« Toute révélation d’un secret est la faute de celui qui l’a confié ». Les mots de LA BRUYÈRE font sens en matière de brevet où l’inventeur doit se protéger ab initio contre toute divulgation.
Pour qu’un brevet soit délivré au profit d’un inventeur lui conférant dès lors un monopole d’exploitation, l’invention doit, aux termes de la Convention sur le brevet européen (CEB) comme de la loi française être nouvelle, susceptible d’application industrielle et manifester une activité inventive.
Un arrêt d’infirmation partielle rendue par la Cour d’appel de Lyon le 12 septembre 2019 (n°16/06896) invite à revenir sur le critère de la nouveauté et, en conséquence, sur l’importance pour l’inventeur de se prémunir contre une divulgation par un accord de confidentialité ou « non-disclosure agreement », ceci ab initio.
En effet, la décision rappelle de manière cinglante au titulaire du brevet que la volonté contractuelle ne peut pas tout. Notamment, elle ne saurait porter atteinte aux droits des tiers.
Pour rappel, pour être brevetable un bien intellectuel doit être nouveau. L’article L.611-11 du Code de la propriété intellectuelle précise que: « une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique » (al. 1er). « L’état de technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen » (al. 2).
Aucune restriction n’est prévue relativement au lieu géographique, au mode, à la langue ou à la date de la divulgation qui doit simplement être antérieure à celle du dépôt de la demande de brevet.
Cependant, pour être prise en considération dans l’appréciation de la nouveauté, la divulgation ne doit pas avoir été faite en violation des droits d’un tiers. Par exemple, une divulgation en violation d’une clause de confidentialité, outre le fait qu’elle engage la responsabilité contractuelle de son auteur, n’est pas de nature à écarter la nouveauté et le caractère brevetable de l’invention (Cass.,com., 19 mai 1987 n°86-11598).
En pratique, force est de constater que c’est parfois l’inventeur lui même qui, par inconscience, manque d’information, ou excès d’enthousiasme, divulgue son invention. A défaut de nouveauté, celle-ci ne pourra plus faire l’objet d’un dépôt d’une demande de brevet.
Pour en revenir à l’arrêt rendue par la Cour d’appel de Lyon, les faits étaient en substance les suivants : la société Chavanoz, filiale de la société Porcher, est titulaire d’un brevet européen EP 0 900 294 issu d’une demande internationale déposée le 16 avril 1997 (sous priorité d’une demande française du 7 mai 1996). Le brevet avait « pour objet un fil composite, composé d’une âme en verre entourée d’une gaine comportant une charge ignifugeante ».
Or, avant la date de dépôt de la demande française, c’est-à-dire avant le 7 mai 1996, la société Chavanoz a vendu et livré plusieurs tonnes de son fil à la société Helioscreen, avec laquelle elle avait collaboré durant la phase de conception de l’invention. Aucun accord écrit de confidentialité, et aucune mention relative au caractère confidentiel des documents techniques et commerciaux, n’avait été initialement prévu. Par la suite, la société Helioscreen a revendu à des tiers le tissu fabriqué avec les fils réalisés par la société Chavanoz.
Le 9 avril 1996, soit un mois avant le dépôt de la demande de brevet, un accord de confidentialité, assorti d’une clause de rétroactivité, est finalement conclu entre les deux partenaires.
Trop tardivement selon la Cour d’appel de Lyon….
En effet, après la rupture des relations commerciales, la société Chavanoz va assigner la société Mermet, société cliente de la société Helioscreen, en contrefaçon, après avoir fait procéder à différentes saisies-contrefaçons.
Le 8 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Lyon, a fait droit à cette demande et un appel a été interjeté devant la cour d’appel de Lyon au motif de la nullité du brevet détenu par la société Chavanoz tirée d’un défaut de nouveauté.
L’argument avancé par l’appelant est le suivant : le titulaire du brevet, la société Chavanoz, aurait divulgué l’invention la rendant accessible au public avant le dépôt de la demande française, détruisant ainsi son caractère nouveau. Ce à quoi le titulaire du brevet de répondre que l‘accord de confidentialité assorti d’une clause de rétroactivité permet d’écarter toute divulgation destructrice de nouveauté.
Pour les magistrats saisis du litige, il s’agissait de répondre à la question de savoir « si une société qui a divulgué son invention à un partenaire non soumis à une obligation de confidentialité au moment de la divulgation, peut effacer l’existence de cette divulgation éventuellement destructrice de nouveauté, par la conclusion, a posteriori, d’un accord de confidentialité».
La réponse de la Cour est sans équivoque : « Les dispositions d’ordre public du droit des brevets interdisent à des parties à un contrat, fut-ce par un effet rétroactif conféré à celui-ci, de priver de ses effets légaux une divulgation d’ores et déjà intervenue. Une invention est rendue accessible au public lorsqu’elle est divulguée à une personne qui n’était pas tenue au secret au moment de la divulgation de sorte que la clause de rétroactivité de l’accord de confidentialité susvisé est sans effet en l’espèce sur l’appréciation de la validité du brevet ».
Partant, les juges retiennent que la composition objet de ce brevet ayant été rendues accessibles au public avant la date de priorité du 7 mai 1996, l’invention s’est trouvée, à la date de priorité, déjà comprise dans l’état de la technique, rendant en cela les revendications du brevet nulles pour défaut de nouveauté.
Dit autrement, faute d’une confidentialité décrétée ab initio par les parties, les effets légaux d’une divulgation – particulièrement la destruction du caractère nouveau de l’invention – ne sauraient être remis en cause par la conclusion postérieure d’un contrat.
La solution ne va pas de soi puisque la volonté contractuelle peut être de nature à faire rétroagir la naissance d’une obligation ou d’un droit.
Ainsi, sur le fondement de l’article L.615-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu estimer qu’un licencié exclusif était fondé à exercer une action en contrefaçon pour des faits commis antérieurement à la conclusion du contrat, dès lors qu’il était rétroactivement investi de ce droit (Com., 11 janvier 2000 n°97-10.838).
Mais, si le mécanisme de rétroactivité crée une fiction juridique qui est opposable aux tiers, celui-ci ne saurait porter atteinte aux droits acquis par ceux-ci.
En effet, après divulgation de l’invention auprès d’un partenaire non tenu au secret celle-ci fait partie intégrante de l’état de la technique et n’est donc plus brevetable. Dès lors, la liberté du commerce et de l’industrie exige que les tiers puissent la copier et l’exploiter sans entrave.
Au contraire, si un effet rétroactif était reconnu à la clause de confidentialité, les tiers passerait d’une situation d’exploitant légitime à celle de contrefacteur encourant des sanctions civiles mais aussi pénales. C’est ainsi la fraude aux droits des tiers qui fonde l’inefficacité de la clause de rétroactivité stipulé au sein d’un accord de confidentialité.
En définitive, à défaut d’accord de confidentialité, les inventeurs et les sociétés innovantes doivent se garder de toute divulgation de leurs travaux. Ce n’est qu’après la conclusion d’un tel contrat que des discussions pourront être engagées avec les différents partenaires.
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